Histoire de l’église Saint Victor de Sagelat
Grande est la modestie de ce sanctuaire rural, comme égaré dans les champs de la vallée fertile de La Nauze, à quelque 500 m de la Nationale 710. Nul ne pourrait s’imaginer l’harmonie et la grâce de cet édifice, vêtu de belles pierres ocre jaune du pays.
Son clocher mur, ajouré d’une unique baie campanaire où loge la cloche, fondue et installée en 1763, se laisse tranquillement dominer par la tour carrée d’un antique
pigeonnier tout proche. Comme l’écrivait Charles Péguy: « A peine quelques toits font comme un archipel. Du vieux clocher retombe une sorte d’appel.
L’épaisse église semble une basse maison. » La nef serait, à l’origine, une maison romaine rectangulaire.
La façade est de style roman primitif antérieur à toute décoration orientale. Lieu de passage des pèlerins de Saint Jacques de Compostelle, qui, faute de ponts, ne pouvaient franchir la Dordogne qu’à Castelnau pour gagner L’Espagne par Agen et Toulouse, son histoire épouse fidèlement celle des générations paysannes, paisibles et laborieuses, qui vivaient alentour.
La population de cette paroisse fut toujours et, grâce à Dieu, demeure, attachante et fidèle à ses traditions.
Après avoir été, sans doute, soigneusement entretenu au fil des siècles, l’édifice fut considérablement transformé en 1928, grâce à la sollicitude de l’abbé François Chanat qui fit construire les voûtes et les arcs de brique, les piliers avec leurs chapiteaux, entraînant ainsi la suppression du plafond de bois et du dallage de pierre, fort usé.
Mais la grande cure de rajeunissement fut décidée et menée à bien par l’abbé François Merchadou, de 1941 à 1944, époque troublée s’il en fut, où il était fort difficile de se procurer les matériaux nécessaires. Il y réussit toutefois avec le courage et le sens artistique qui lui étaient propres.
On commença par dévier le chemin qui longeait l’église ; puis la construction de l’abside (l’actuelle sacristie) et du
transept (chapelles de Saint Joseph et de la Sainte Vierge) fut entreprise On découvrit alors les étroites baies romanes jusqu’ici maçonnées, côté Midi, donnant sur les voûtes ou derrière les piliers de 1928.
A l’intérieur, nos regards sont immédiatement attirés et charmés par quatre chapiteaux qui agrémentent la nef.
Celui du centre, à droite, s’orne respectivement, sur ses trois faces, d’un chardon d’un âne (animal biblique de la
paix) d’un poisson parmi les roseaux. Celui de gauche, d’un lynx, d’un oiseau et d’une fleur de lotus, motif cher aux Égyptiens.
Les deux autres, qui soutiennent l’arc triomphal, beaucoup plus élaborés, sont, bien que plus modestes et toutes
proportions gardées, de la veine de ceux de Vézelay et de Saint-Jacques de Compostelle.
Celui de droite évoque le martyre de saint Victor de Marseille, légionnaire romain. Sommé de renier le Christ par
l’Empereur Maximien, il renverse la statue de Jupiter qu’on lui ordonne d’adorer. Puis mutilé, traîné par les pieds
dans les rues de la ville, il est finalement décapité en l’an 290. Il est le titulaire de notre église en ce sens qu’il lui
a donné son nom.
Celui de gauche retrace sommairement le martyre de saint Barthélemy, apôtre, à Albane, en Haute Arménie, en
l’an 71. Après avoir été écorché vif, il fut, lui aussi, décapité à la hache. Son corps est aujourd’hui à Rome, son
chef à Toulouse. Il est le Saint Patron, c’est-à-dire le Saint Protecteur de l’église et de la paroisse.
Dans le chœur, nous admirons deux visages hautement significatifs :
à droite, la Synagogue, les yeux bandés, avoue son aveuglement
par son rejet du Christ, Lumière du monde.
A gauche, l’Église, par sa physionomie souriante et rayonnante, reflète la Lumière et la joie de la Foi.
Nous admirons encore, dans la chapelle de Saint-Joseph, le Christ au tombeau et, dans la chapelle de la Sainte Vierge, le fac-similé de la gracieuse Nativité de Chartres.
Le Chemin de Croix, d’une grande sobriété linéaire, incrusté dans la chair même de l’édifice, comme les stigmates le sont
dans celle d’un saint, rappelle aux croyants que le disciple n’est pas au dessus du Maître, que le chemin de l’épreuve
conduit à la gloire et la mort à la résurrection.
Les excellents vitraux, exécutés en 1943 par F. Chigot, de Limoges, selon la technique du XIII° siècle, parent la
vénérable aïeule de gemmes aux multiples couleurs.
Non, rien ne fut négligé pour que la demeure de Dieu parmi les hommes soit digne de Lui.
Nous déplorons, cependant, que l’humidité macule les chapelles du transept et que des lézardes s’inscrivent déjà dans leurs murs.
Ce modeste et gracieux sanctuaire qui bénéficiait, jadis, du voisinage et de la protection des religieuses bénédictines de Fongauffier, nous invite au recueillement et à la prière. Ici, le Seigneur parle dans le silence du cœur et nous rappelle sans cesse qu’il est vain de conquérir l’univers, si l’on en vient à perdre son âme. D’étape en étape, il nous y accueille et nous achemine vers cette autre Église dont celle ci est l’image, où nous verrons Dieu, comme dit saint Paul, non plus en énigme, mais face à face, tel qu’il est, comblés de Lumière et de Joie éternelles.
Abbé Jean Danède